Alcoolisme: Sexualité en Danger

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Qu’en pense une kinésithérapeute-sexologue ?

Par Martine Potentier. Revue Sexualités Humaines

L’utilisation des thérapies corporelles face aux problématiques de l’alcool sur la sexualité : une belle alternative de soin.

Dans le cursus thérapeutique, l’objectif de la thérapie corporelle est de proposer un support physique au patient, pour étayer son cheminement vers une réappropriation narcissique. Donner un élément corporel sur lequel s’appuyer pour l’aider à retrouver ou découvrir la détente du corps, le plaisir du bien-être, est une base essentielle pour que le désir puisse se manifester.

Pistes théoriques

Un petit retour vers ce qui nous a nourri dans notre cheminement pour étayer notre propos. Il nous renvoie aux théories psychanalytiques. La pulsion est primordiale et violente, le besoin est impérieux. C’est le déplacement, par la nécessaire frustration qui a transformé ces premières manifestations, d’envie en désir. Ces deux moments du vécu de la pulsion libidinale se transforment et vont prendre les couleurs infinies des émotions. L’étape de reconnaissance du vécu corporel, de prise de conscience qu’il soutient, permettra au sujet de sublimer et d’entrer dans le monde de la création. C’est au cours de ce processus que nous venons de schématiser, que le patient alcoolique présente des fragilités. Elles se retrouveront inscrites dans le schéma corporel comme des zones muettes (1) et le contrôle des pulsions lui échappera. L’oralité omniprésente et l’évolution connue vers la destruction rendent souhaitable l’orientation de la prise en charge vers des techniques actives et gratifiantes dès que possible.

Certaines techniques corporelles comme le massage ou la sophrologie peuvent favorablement accompagner le patient pendant le sevrage pour le soulager de ses tensions douloureuses. D’autres comme le repérage des tensions et les étirements pour les soulager, la recherche du confort corporel… peuvent être des compagnons de route sûrs et valorisants. Il n’y a rien d’absolu dans tout ça, c’est une question d’intensité de la pathologie et de degré d’imprégnation.

Cas cliniques

sexualiteJe ne vais pas insister sur la nécessaire décision de changer de cap, qui est supposée avoir été prise en amont, ni sur le contrat thérapeutique qui inaugure la prise en charge. Mon expérience s’est portée sur des jeunes femmes dont on peut dire qu’elles étaient dans un abus d’alcool et des hommes après leur cure de désintoxication. J’ai retenu trois situations types qui me semblent donner des repères pour une indication thérapeutique.

- Pour M.B., les soirées de promotion professionnelle l’entraînent à boire pour soulager son anxiété. Homosexuelle, elle n’arrive pas à nouer une relation de confiance qui lui permettrait de développer sa capacité de jouissance. Notre objectif est de donner à la patiente le goût de se faire du bien, tout de suite. La notion de « tout de suite » est importante pour l’alcoolique. S’étirer pour se dégager d’un malaise, se masser pour soulager une tension est la réponse : « tout de suite ». Travailler sur l’étirement c’est renouer avec les forces archaïques qui nous animent. L’étirement est un réflexe, une ressource qui est en nous tous, fondamentalement dès la naissance. C’est l’éducation, l’imprégnation culturelle qui nous font maîtriser puis oublier cette formidable ressource de réharmonisation naturelle. Elle est la source de production d’endorphine. Elle est aussi d’une simplicité absolue. De la facilité, non, car le poids de l’histoire du patient est là et ne pas écouter les inhibitions et les doutes serait une erreur. Il s’agit d’accompagner le patient pour qu’il trouve le chemin de son corps de bien-être, pour qu’il soit encouragé dans ses balbutiements, reconnu dans ses victoires et qu’il restaure ainsi une partie de sa confiance en lui.

- A.A. est dans une recherche de perfection effrénée et ne « touche plus terre ». A son grand désespoir, elle ne peut retenir un homme dans son lit. Elle passe de l’excitation la plus débridée à la profonde fatigue en remettant tout en question. Nous avons travaillé sur la réalité, sur la sensation de la terre sous les pieds, du siège sous les fesses, sur le placement du bassin à l’endroit juste, qui permet à la colonne vertébrale de s’ériger naturellement. Au bout d’un moment, ressentir la fluidité, le mouvement d’ajustement du corps à la pesanteur, à la vie, à notre vie sur terre est une expérience métaphysique fondamentale. La position habituelle n’était pas anodine, et la différence de sensation en fait ressentir le sens. Il peut être à l’instant même verbalisé, à condition que l’espace lui en soit donné. Etre, demande de s’appuyer sur des bases, qu’elles soient symboliques ou physiques. La force nécessaire est alors légère, subtile et douce. Renouer avec son essence-ciel, si j’ose ce jeu de mots, est bien une manière de ramener le patient vers son humanité.

- J.C.V., après une cure de désintoxication, voit son avenir s’ouvrir dans une relation amoureuse et un désir d’enfant. Anxieux, son érection est incertaine… De personnalité mélancolique, le massage lui est proposé comme l’occasion de dire ses sensations désagréables, ses sensations d’inconfort, et ainsi ne pas entrer dans une relation sadomasochiste. Il a dénudé son corps comme il l’a voulu pour se sentir à l’aise. Petit à petit au cours des séances, quand la confiance s’est installée, il a exprimé le soulagement de ses tensions, le bien-être apporté par le massage.

Un massage médical ne serait pas suffisant, car il irait chercher les tensions et cela passerait pour une bonne part dans l’acceptation d’une douleur qui, même si elle fait du bien, est particulièrement pénible pour ces sujets qui sont hypersensibles. Le massagerelationnel ou de détente prend en compte l’effort du patient, pour supporter ce moment nécessaire. Il va laisser la part belle à des manœuvres de recouvrement, de globalisation du vécu corporel. Une place particulière sera donnée au visage, pour faire lâcher et embellir le masque social, très éprouvé par l’alcoolisme.

 

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