Le harcèlement moral: Peur et humiliations au quotidien

harcèlement moral
Le harcèlement moral n’a pas de limites. Tout est bon pour s’acharner sur quelqu’un et le pousser à bout, si cela profite à l’entreprise. Le management par la peur et l’humiliation est aujourd’hui chose banale.

Chaque matin, en route vers son travail, Isabelle espère l’accident, seul moyen qu’elle puisse imaginer pour ne pas aller travailler et échapper – enfin ! – à sa supérieure hiérarchique qui lui fait vivre le calvaire… Isabelle fait partie des 15 millions d’Européens harcelés, soit un travailleur sur dix.

Le règne de la terreur

Marie-France Hirigoyen, psychiatre, auteure de Harcèlement moral, la violence perverse au quotidien (coll. Pocket) définit le harcèlement comme « toute conduite abusive se manifestant notamment par des comportements, des paroles, des actes, des gestes, des écrits pouvant porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychique d’une personne, mettre en péril l’emploi de celle-ci ou dégrader le climat de travail ». « Quand vous connaissez bien les salariés, il est très facile de cibler le type de pression que l’on peut exercer par rapport à la personnalité et à la vie privée de chacun », note Bernard Salengro, médecin du travail et responsable santé au travail à la CFE-CGC, auteur de Le management par la manipulation mentale (éd. L’Harmattan). Le harcèlement peut se traduire par des insultes publiques, des critiques incessantes, des humiliations, des calomnies, des menaces, une mise à l’écart (plus bonjour ni merci, désinformation, suppression de tâches ou d’outils de travail – bureau, téléphone, etc. – ), une surveillance permanente des faits et gestes, une surcharge de travail ou des objectifs irréalisables, des consignes confuses, contradictoires ou dépourvues de sens (comme corriger des fautes inexistantes) ou encore des punitions (avertissements, vacances refusées au dernier moment, heures supplémentaires non payées).
« C’est grâce au silence de tous, collègues de la victime et autres témoins, que le harceleur peut réussir dans son entreprise destructrice, témoigne la Dre Ramaut, médecin du travail, auteure du Journal d’un médecin du travail (éd. Le Cherche Midi). C’est l’affaiblissement des solidarités collectives qui facilite l’accomplissement du processus de harcèlement moral. »

Un système harceleur

Dans seulement de 10 % des cas, c’est un subordonné (une secrétaire, par exemple) qui harcèle son patron. Une fois sur deux, le harcèlement émane du supérieur hiérarchique, une fois sur quatre d’un collègue et dans 17 % des cas, du chef et de collègues réunis. « Le harcèlement est un mode de gestion du personnel, insiste Marie Pezé, psychologue et psychanalyste, responsable de la consultation “Souffrance et Travail” à l’hôpital de Nanterre. On n’est pas dans la relation bourreau/victime ; c’est l’organisation qui exige des managers qu’ils deviennent des personnes harceleuses. » En cause : la recherche d’une meilleure productivité et d’un plus grand profit au nom desquels la fin justifie tous les moyens. « Trente ans de chômage dur ont entraîné une perte des solidarités », regrette Marie Pezé qui a constaté que plus de 90 % des salariés harcelés avaient eux-mêmes été des témoins passifs du harcèlement d’autrui…
Provenant autant du service public que du secteur privé, les victimes sont généralement ceux qui ont la plus forte personnalité : délégués du personnel, responsables syndicaux et tous ceux qui ont osé exprimer leur désaccord. « Ceux qui ne gênent pas, ceux qui en font le minimum ne sont jamais inquiétés », indique-t-elle. Sont aussi harcelées les personnes jugées trop âgées, trop coûteuses, ne répondant plus aux critères ou se trouvant en doublon après une fusion. En les poussant à la démission, l’employeur évite ainsi le coût d’un licenciement.

Une souffrance physique et psychique

45 % des harcèlements durent entre 1 et 3 ans et 40,5 % plus de trois ans ! Des années de souffrance à l’origine de bon nombre de troubles psychosomatiques : anxiété (les harcelés consomment 4 à 5 fois plus d’anxiolytiques et/ou d’antidépresseurs et 9 fois plus de somnifères), brûlures d’estomac, hypertension artérielle, douleurs musculaires…, et même dépressions pouvant conduire au suicide (en Suède, 10 à 15 % des suicides seraient la conséquence d’un harcèlement). Les employés « perdent progressivement l’espoir que la condition qui leur est faite aujourd’hui pourrait s’améliorer demain », souligne Christophe Dejours dans Travail : usure mentale (éd. Bayard). Les harceleurs payent aussi leur tribut : plus ou moins consciemment, ils ressentent de la honte vis-à-vis de l’idéal de soi et de la culpabilité à l’égard de la victime à qui ils infligent un traitement injuste au nom de la raison économique. Pour réduire cette souffrance, les harceleurs nient souvent la réalité du problème.

La loi

La notion de harcèlement moral a été introduite le 17 janvier 2002, dans le Code du Travail. L’article L.122-49 déclare ainsi qu’« aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel… ». Cet article précise également qu’un salarié ne peut être sanctionné pour avoir témoigné. Le Code du Travail prévoit encore que « le chef d’établissement prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». En pratique, pour que le harcèlement soit reconnu, il faut qu’il y ait eu intention de nuire, charge au harcelé d’apporter la preuve de l’intentionnalité. Là réside toute la difficulté… Le harcèlement moral est un délit passible d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 15 000 €. Le 21 juin 2006, un pas supplémentaire a été franchi : pour la première fois, la Cour de Cassation (2) a retenu que la responsabilité personnelle de la personne harceleuse (un cadre) pouvait s’ajouter à la responsabilité de l’employeur.