Sexualités Humaines 12 : Abus sexuel et art-thérapie. Par Leila AL HUSSEINI

Sexualités Humaines 12 : Abus sexuel et art-thérapie. Par Leila AL HUSSEINI

L’abus sexuel est un traumatisme majeur, laissant sur l’abusé et sa sexualité des répercussions graves et durables le conduisant, parfois inexorablement, à une impasse relationnelle. Qui dit traumatisme majeur dit séquelles sur le corps et l’âme.
 
Que peut devenir la sexualité après un événement semblable ? Et comment comprendre les différentes transformations psychosomatiques chez des patients ayant subi un abus sexuel ?


Durant cet exposé, je vais aborder quelques-unes des séquelles observées chez certaines patientes : douleurs musculaires, insomnie, angoisse, dépression, anorexie, inhibition, refoulement de l’imaginaire et pathologie de l’adaptation, sexualité débridée.

Il ne s’agira donc pas ici d’un inventaire détaillé et chronologique de cas cliniques. Par des prises obliques et condensées portant sur l’anamnèse et la thérapie, mon objectif principal est de vous exposer la diversité des symptômes liés à un abus sexuel et comment, à travers l’art-thérapie relationnelle, j’essaie d’aider les patients à retrouver leur unité fondamentale corps et âme.
 
1- L’inhibée
Josiane est une jeune femme universitaire divorcée après cinq ans de mariage, sans enfant. Elle souffre de problèmes de santé : troubles digestifs et problème de la thyroïde, douleurs musculaires, rigidité dorsale avec une difficulté respiratoire et une inhibition presque paralysante face à l’autorité. Elle souffre d’angoisses liées à un blocage se rapportant à son travail universitaire dont le sujet est lié au corps.
 
La thérapie a duré deux ans. En utilisant principalement la peinture et en donnant une place centrale aux rêves qui ont ressurgi grâce à la relation thérapeutique, modifiant ainsi complètement le fonctionnement de cette patiente marquée par l’angoisse et la passivité.

Lors de la première séance, Josiane dessine avec un crayon gris une femme au corps enfantin, sans reliefs, assise sur un tronc d’arbre coupé, tournant le dos au monde, paraissant absorbée par une sorte de méditation et que la patiente nomme « femme-ange ». Après quelques séances d’art-thérapie, Josiane réalise une autre femme-ange à la gouache.
Cette fois, la femme-ange est debout, les ailes sont immenses et le corps est plus matérialisé que lors de la première représentation. A partir de ce moment-là, plusieurs souvenirs refoulés surgissent et la patiente, à ma demande, retrouve l’origine de son identification à l’ange en trois images-souvenirs :
Le premier : lorsqu’elle avait 3 ans, elle dormait dans le lit de ses parents. Sur le mur, au-dessus de leurs têtes, un tableau représentait un ange gardien tenant dans sa main un tout petit enfant l’empêchant ainsi de tomber dans un gouffre. La fragilité de l’enfant, le rôle protecteur de l’ange, tout cela la fascinait. Elle se rappelle l’avoir toujours regardé avant de s’endormir.


Le deuxième souvenir : toujours à l’âge de 3 ans, Josiane se voit en train de rendre visite à une arrière-grand-mère mourante. Elle se souvient de cette rencontre avec beaucoup d’émotion et raconte qu’elle n’avait pas peur de la vieille agonisante qui lui disait : « Voilà mon petit ange qui vient me visiter. »
Troisième souvenir : Josiane rencontre une tante atteinte de schizophrénie, obèse et quasiment abandonnée dans une campagne profonde. Malgré sa maladie, elle est toujours très douce avec Josiane qu’elle nomme « mon ange ».

La représentation de l’ange par Josiane n’est donc pas anodine. Elle rend compte à la fois d’un processus propre d’identification et d’une désignation identitaire par autrui. Il est évident que l’ange est une image projetée de son propre corps. Elle le définit comme un être éthéré, asexué et capable de s’envoler. L’ange nous fournit l’image d’un corps imaginaire qui nous permet de mettre en évidence le rôle du corps propre dans la genèse de cette représentation pour inclure le temps et l’espace.
Aussi loin qu’elle se souvienne,

Josiane se trouve sujette à des situations dures et traumatisantes : le plus important traumatisme qu’elle a vécu s’est produit à l’âge de 5 ans, lorsque l’un de ses demi-frères, âgé de 17 ans, l’a abusée et cela pendant plusieurs années, sans qu’elle puisse trouver aucune aide auprès de sa mère complètement soumise et passive. Il se produit dès lors chez ma patiente une évidente méfiance du monde, un repli total sur elle-même, avec une immense détresse. S’y ajoutent les traumatismes liés au fonctionnement familial dans lequel violences morales et physiques sont permanentes. « Tout mon environnement était hostile et pourtant j’avais peur de le perdre. »
Sa difficulté à figurer son corps se montre donc dans les multiples images et réalisations qu’elle donne d’elle-même en peinture : elle dessine et commente des images de poupées mécaniques dont le corps est automatisé, elle actualise sa difficulté à être et à agir.

Dans cette représentation de sa vie passée et qu’elle nomme elle-même « fresque familiale », on voit bien ici l’histoire de son fonctionnement psychosomatique dans son contexte relationnel et temporel.

Au fur et à mesure de l’avancement du travail thérapeutique, Josiane se libère de ses inhibitions intellectuelles, exprime ses émotions et envisage sa vie autrement. Grâce aux rêves amenés à la relation thérapeutique, la patiente a pu s’affranchir de la honte d’avoir un tel passé et avancer dans son travail universitaire. Un rêve actualise ce changement et exprime sa colère envers son abuseur : quelques jours avant la soutenance de sa thèse, elle rêve que son demi-frère abuseur veut assister à sa prestation. Elle crie et lui hurle à plusieurs reprises, à s’en faire mal à la gorge, « espèce de pédophile, pédophile, pédophile ! tu oses venir ici ! ». Le frère fuit, elle lui court après et elle se réveille en hurlant « pédophile ! ».

Actuellement, elle est enseignante, elle est mariée, elle a un enfant. Elle semble aller bien.

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