Hypnose, dissociation et trauma : 30 ou 150 ans de psychotraumatologie ? Revue Hypnose & Thérapies Brèves 24. Gisela PERREN-KLINGLER

Hypnose, dissociation et trauma : 30 ou 150 ans de psychotraumatologie ? Revue H

Aujourd’hui, on considère ces vécus infantiles comme étant une cause possible de troubles dissociatifs complexes. On parle de « trauma complexe », ou de désordre de personnalité limite (Van der Haart, Nijenhuis, 2005), ou de troubles développementaux dus aux expériences traumatisantes durant l’enfance (De Bellis, 1999). Freud a commencé par suivre les hypothèses de son maître Janet, jusqu’au moment où le « trauma réel » se trouva converti en « trauma fantasmatique » dû au complexe d’Œdipe.

On suppose que cette conversion vers le fantasmatique s’est opérée pour des raisons personnelles inconscientes. Cette individualisation freudienne du trauma a conduit à une représentation intrapsychique du trauma qui a marqué la psychiatrie et la psychothérapie durant presque un siècle.
La conception psychosociale du trauma n’a émergé que progressivement à partir des années de dictatures militaires en Amérique latine (1971-1984), qui ont vu l’arrivée d’un grand nombre de réfugiés politiques torturés porteurs d’une étrange symptomatologie. En même temps, les vétérans américains de la guerre du Vietnam témoignaient d’une symptomatologie similaire.

Les psychiatres de part et d’autre de l’Atlantique ont commencé à établir des liens entre les symptômes bizarres de ces survivants de la guerre et de la torture et leur récent vécu : c’est l’émergence de la psychotraumatologie moderne. Le diagnostic de « Post Traumatic Stress Disorder » (1980, DSM III), le « désordre de stress post-traumatique », est souvent appelé « névrose traumatique » en France, ce qui renvoie à la dimension personnelle du vécu. Le diagnostic de PTSD a permis des approches théoriques de plus en plus sophistiquées, basées sur la neuro-biologie cognitive ou sur l’entourage et les ressources sociales (« Conservation of Resources, COR », Hobfoll, 2007).

Ces différentes approches théoriques et phénoménologiques des symptômes ont aussi permis de sortir de l’impuissance thérapeutique résultant aussi bien des approches psychodynamique, comportementaliste ou existentielle. Ces approches permettaient certes une bonne interprétation de « l’ininterprétable » (Klein, 1974), sans toutefois en libérer le patient. Les théories neuro-cognitives ont mis en évidence les aspects prioritaires dans l’approche thérapeutique des symptômes, ainsi que l’action des différentes techniques dans les zones du cerveau, tandis que l’approche « sociale et ressources » aide à rétablir un meilleur équilibre des ressources.

C’est donc une définition nouvelle du PTSD qui attribue les symptômes à des événements de violence hors de la norme survenus dans l’entourage de la personne (critère A1, DSM IV R), ainsi qu’à la réaction individuelle manifestée dans le vécu d’impuissance ou de la peur – mieux, la pensée – de mourir (critère A2). Le trauma n’existe pas en tant que tel : c’est un événement qui le devient à partir de l’interprétation qu’en fait la personne touchée, après coup.

Au début, les groupes essentiellement européens s’occupant des réfugiés et des survivants de l’Holocauste et des camps de concentration ont eu de la difficulté à faire la différence entre l’extérieur et l’intérieur, la société et la victime. Il y avait confusion entre prévention (lutte pour les droits humains) et thérapie, l’avant et l’après. Depuis lors, nous savons tous que l’un n’empêche pas l’autre, et que la prévention et l’activisme politique en faveur des droits de la personne renforcent l’aspect thérapeutique si l’on sait en tirer profit.

Aussi, les thérapeutes qui s’occupent des conséquences de traumatismes complexes de l’enfance se rendent compte que si l’on prenait au sérieux la question des droits de l’enfant, il y aurait moins d’adultes souffrant de ces symptomatologies graves et compliquées à traiter. Nous retrouvons alors ce que Pierre Janet avait enseigné : la symptomatologie du PTSD et du trauma complexe est personnelle, individuelle, mais elle est primordialement due à des causes extérieures. Elle affecte la personne dans toutes ses dimensions, tant biologique que mentale et sociale.

Dans le diagnostic des affections du trauma, il faut relever ce qui en principe dérange le plus le patient : les souvenirs récurrents intrusifs (critère B) et éventuellement aussi l’hyperexcitation (critère D). Cela signifie qu’on peut se concentrer sur les effets du stress vécu au niveau du système nerveux autonome sympathique. On peut tout à fait aussi considérer l’autre face de la médaille, la dissociation (critère C), ou rester dans l’approche biologique sur les mécanismes compliqués de l’autoprotection de l’individu touché.

Durant l’exposition potentiellement traumatique, ce n’est pas seulement le système sympathique du stress (fuite/combat) qui est sollicité, mais aussi le système parasympathique (impression de gel, se figer, ne rien sentir) qui contribue au mécanisme de dissociation. D’autres mécanismes biologiques renforcent la dissociation initiale parasympathique. Souvent les personnes touchées ne consultent que tardivement, car la dissociation leur permet de ne pas souffrir des conséquences post-traumatiques.

Tout au plus, ce sont les phobies post-traumatiques qui les dérangent dans les activités quotidiennes : par exemple le chauffeur de camion qui redoute de monter dans son camion, quand bien même le côté somatique ait été bien traité par la chirurgie. Incapable de reprendre le travail, ce chauffeur est alors catalogué comme « névrotique » et se retrouve bénéficiaire d’une rente… Mais si la dissociation émotionnelle ne gêne que rarement les victimes elles-mêmes, elle est par contre difficile à vivre pour l’entourage.

Dans les pages suivantes, j’aimerais présenter quelques vignettes cliniques de thérapie post-traumatique abordée sous l’angle de la dissociation.

 

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