Entretien avec un psychologue « Il n’y a pas de méthode meilleure qu’une autre »

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Le choix de la méthode dépend du malaise à soigner, du temps que l’on souhaite y consacrer. Mais surtout, ce qui compte, c’est la qualité de la relation avec le thérapeute.

Faut-il choisir un psychothérapeute ou une psychothérapie ?

Edmond Marc : Malgré les difficultés propres à l’évaluation des psychothérapies, nous disposons aujourd’hui d’un ensemble d’études assez fiable. Elles montrent que le choix de la technique ne constitue pas l’élément le plus important. Une bonne relation avec son psychothérapeute demeure le premier critère de réussite. La personne doit se sentir soutenue. On tend à oublier qu’une psychothérapie est d’abord un travail relationnel entre des individus. Les recherches ont montré aussi qu’un des facteurs prédictifs de réussite d’une thérapie demeure le degré de motivation du patient. S’il désire obtenir des résultats de cette démarche, elle a davantage de chances d’être efficace.

Il ne faut pas trop se polariser sur le choix de la technique. Les évaluations montrent qu’il n’y a pas de méthode globalement meilleure qu’une autre.

 

Certaines psychothérapies correspondent tout de même mieux à certaines difficultés…

Edmond Marc : Il est possible de donner des indications. Elles dépendront de ce qui conduit la personne à envisager une psychothérapie. Certaines démarches correspondent mieux à certains types d’attentes et de difficultés.

 

Quelles sont les différentes indications courantes ?

Edmond Marc : Un étudiant peut dire « Je souffre d’un énorme stress à chaque fois que je dois passer des examens ». Le but est clair et circonscrit. On peut penser à une thérapie cognitive et comportementale (TCC). Ces thérapies sont de type « problème – solution ». Elles sont indiquées quand il y a un symptôme précis dont la personne, peu portée sur l’introspection, veut se débarrasser. Un autre patient peut dire que cela ne l’intéresse pas de réfléchir à son enfance alors que sa seule difficulté demeure la phobie de prendre l’avion.

 

Que traitent les thérapies comportementales et cognitives ?

Edmond Marc : Elles ont d’abord été pratiquées avec des personnes souffrant des phobies. Elles se sont développées dans ce domaine, où les résultats – avec des guérisons dans 80 à 90 % des cas – semblaient les plus probants. Les praticiens de ces méthodes se sont ensuite intéressés aux actes ou pensées obsédantes appelées TOC (troubles obsessionnels compulsifs), avec lesquels ils ont obtenu de bons résultats, même s’ils le sont moins qu’avec les phobies. Aujourd’hui, elles sont aussi utilisées dans les cas de dépression grave et profonde. Les TCC peuvent alors être associées à des médicaments antidépresseurs, et donnent de meilleurs résultats que le traitement seul. Dans les dépressions plus légères, des séances de thérapies comportementales et cognitives peuvent suffire.

 

Pour d’autres difficultés psychologiques, l’origine est imprécise…

Edmond Marc : La plainte semble alors trop diffuse pour procéder de façon aussi rapide. Un malaise existentiel plus profond se prête moins à définir et atteindre des objectifs précis en quelques séances. La psychanalyse et d’autres psychothérapies s’adressent davantage à ces personnes. Elles nécessitent un travail introspectif plus long.

 

Il existe d’autres thérapies brèves que les TCC.

Edmond Marc : Oui. Si l’on se heurte à des difficultés relationnelles avec son compagnon ou ses enfants, on peut préférer, toujours dans les approches brèves, une thérapie conjugale ou familiale systémique (1). Dans ce domaine, on ne devrait pas oublier l’analyse transactionnelle (1), également très axée sur la relation. Il faut aussi citer la Gestalt-thérapie, qui privilégie la notion de contact et de relation. Si on la compare à la psychanalyse, dont elle est issue, la Gestalt-thérapie (1) est plus centrée sur l’ici et maintenant. On examine comment la personne se comporte dans la situation présente. Pratiquée en groupe, on observe ses difficultés à entrer en contact avec les autres. En consultation individuelle, on peut regarder comment on se positionne vis-à-vis de son thérapeute.

 

Pourquoi ceux qui les pratiquent affirment que l’efficacité des thérapies comportementales est prouvée, alors que celle de la psychanalyse et d’autres psychothérapies ne le serait pas?

Edmond Marc : L’évaluation est plus facile avec les TCC, car elles visent la disparition d’un symptôme. Elle est difficile avec les thérapies plus longues, parce que le patient et ses difficultés ne se prêtent pas à une définition aussi précise du but à atteindre. C’est la raison pour laquelle il existe davantage d’évaluations des thérapies comportementales et cognitives. Mais les études dont nous disposons n’indiquent pas une supériorité globale des TCC sur les autres démarches.

 

Qu’est-ce que le développement personnel ?

Edmond Marc : On a pu dire que le développement personnel regroupait les thérapies pour bien portants. En fait, ce sont les mêmes thérapies, mais elles s’adressent à des personnes qui les abordent avec l’idée de « s’épanouir » plus qu’avec le désir de se débarrasser d’un symptôme ou d’une souffrance. Cette approche se distingue des démarches thérapeutiques. Dans celles-ci, la souffrance, et donc la demande, sont plus fortes. Dans un stage de développement personnel, on peut faire de l’expression corporelle et de l’art-thérapie pour développer son potentiel et par intérêt personnel. De tels séminaires font davantage appel à des techniques de groupe. Celles-ci cependant sont aussi utilisées en psychothérapie. Dans le développement personnel, c’est moins la technique qui diffère que la demande et la motivation. La notion de continuité de la démarche n’a rien à voir avec celle d’une thérapie. La personne peut participer à un groupe de Gestalt-thérapie lors d’un premier week-end, faire de l’art-thérapie lors d’un second, etc. Le développement personnel ne pâtit pas d’un éclectisme un peu touche-à-tout. Une thérapie nécessite au contraire de persévérer un certain temps dans la même démarche. …

 

Voit-on apparaître de nouvelles thérapies ?

Edmond Marc : On constate surtout à l’approfondissement des applications  des thérapies existantes. On observe aussi des phénomènes de mode. On assiste, par exemple, à un retour de l’hypnose en France, mais à travers la formepratiquée par le psychiatre étasunien Milton Erickson. Elle utilise un état hypnotique léger et des suggestions indirectes.

L’usage des thérapies comportementales et cognitives s’est accru en France au cours des dix dernières années, mais leur essor, aux états-Unis, date des années 50. On note un engouement pour la programmation neuro-linguistique (1), mais cette école s’appuie sur des recherches relativement anciennes. En résumé, on constate davantage des engouements nouveaux que de véritables innovations, que l’on pourrait nommer nouvelles thérapies.

 

Vous préférez une vision complémentaire à une vision antagoniste de différentes thérapies ?

Edmond Marc : Un psychothérapeute gagne à approfondir plusieurs démarches plutôt que de n’en connaître et de n’en pratiquer qu’une seule. La plupart d’entre nous ont été formés à plusieurs écoles et les combinent dans leur pratique. Cela signifie qu’un professionnel se présente souvent comme formé à une psychothérapie, mais en connaît aussi d’autres.

Si la psychanalyse et les thérapies comportementales et cognitives restent des frères ennemis, les thérapeutes qui pratiquent ces dernières ont pour plusieurs, à la base, une formation psychanalytique. Ils ont rallié les TCC soit par conviction, soit par souci de répondre aux inflexions de la mode et du marché. Ils les pratiquent tout en ayant une formation plus large, parce que cela leur semble plus efficace et leur permet des résultats plus rapides. Malgré ces polémiques entre écoles, on note une tendance assez nouvelle à l’intégration dans la pratique de différentes approches. C’est pourquoi on parle même de « psychothérapie intégrative ».

 

Comme vous le laissiez entendre tout à l’heure, c’est la qualité de la coopération entre la personne et le psychothérapeute qui prime ?

Edmond Marc : Oui. La réussite d’une thérapie dépend des qualités humaines du thérapeute : sens de la relation, aptitude à l’écoute, capacité de s’intéresser à autrui pour l’aider. Il ne s’agit pas des caractéristiques de telle ou telle école, mais des qualités plus « transversales » de tout bon psychothérapeute. Ce sont ces qualités qui vont permettre au patient de se sentir entendu, écouté. Ce sont elles qui vont fonder une bonne alliance thérapeutique.

C’est un travail coopératif. C’est ce qui le distingue d’une relation médicale plus technique.

En fait, il existe une règle commune à presque toutes les psychothérapies : dire aussi franchement que possible ce que l’on pense ou ressent. Dans une psychanalyse, on vous demande de dire tout ce qui vous passe par la tête. Dans la Gestalt-thérapie, on vous demande de dire ce que vous ressentez sans censure. Les échanges verbaux sont examinés dans les thérapies de la communication, comme l’analyse systémique ou transactionnelle.

En revanche, dans les thérapies comportementales, cette parole spontanée est moins présente. Ceux qui les pratiquent se sont beaucoup plus appuyés sur un modèle médical classique, selon lequel il suffirait d’un juste diagnostic du trouble pour proposer un protocole thérapeutique préétabli. Mais on constate que ces praticiens évoluent. Ils se sont rendu compte que la relation était un facteur important de réussite. Aujourd’hui, ils préconisent aussi l’alliance thérapeutique avec le patient, fondée sur une écoute empatique

 

La relation compte-t-elle plus que la méthode ?

Edmond Marc : Dans beaucoup les psychothérapies, on retrouve cette incitation, faite au patient, à se laisser aller ou à la libre expression. Le thérapeute n’a pas tellement d’autres moyens d’appréhender avec la plus grande justesse ce que pense et vit la personne. C’est principalement à travers la parole qu’il peut saisir ses difficultés et leur évolution. Des résistances peuvent se manifester. Il faut tenir compte des difficultés du patient à s’exprimer, à se confier ou à se remettre en question. Mais il doit essayer de jouer ce jeu. S’il dissimule ou n’essaie pas de trouver une certaine sincérité dans l’expression, la thérapie perd son sens et son efficacité. L’attention réciproque et la coopération jouent un grand rôle. Elles ne s’établissent pas sur une simple décision ou de façon mécanique. Mais ce sont des ingrédients indispensables pour la réussite de toute psychothérapie.

 

Psychologue et professeur à l’université de Paris X, Edmond Marc est auteur du Guide pratique des psychothérapies

(éd. Retz), plusieurs fois remis à jour depuis 1991 et du Changement en psychothérapie (éd. Dunod).