La douleur, un phénomène pluriel. Dr Pierre TAJFEL
Des siècles durant, la douleur fut vécue comme une épreuve divine uniquement soulagée par la consolation spirituelle. La foi, l’héritage socioculturel et l’éducation stoïque proscrivaient les antalgiques, appelés d’ailleurs "anodins". Pour nous médecins, l'art médical s'exerçait sans imagerie, marqueurs biologiques ou technicité numérique, et la douleur était "utile", précieux indicateur diagnostique et thérapeutique.
« Expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, liée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite dans des termes évoquant une telle lésion », définition qui fait l’unanimité depuis sa publication en 1979 par l’Association Internationale pour l’Etude de la Douleur (IASP), souligne les différentes composantes de la douleur : mémorisation, neurophysiologie, psychologie, signification, pathologie et subjectivité. Ceci démontre qu’une douleur n’est pas unidimensionnelle, mais une résultante de plusieurs réactions neuro-somato-psychologiques ne pouvant être décrites que par la personne qui en souffre. La douleur reste virtuelle pour l’entourage et les soignants, qui doivent respecter et croire à la douleur d’autrui en toute circonstance.
La stimulation douloureuse
Le stimulus nociceptif (nocere : nuire en latin) est activé "en périphérie" par une agression tissulaire au niveau d’une zone anatomique par une énergie (mécanique, électrique, thermique, ou chimique), dont le caractère commun est une intensité suffisante pour constituer une menace à l’intégrité corporelle.
L’agression provoquera des lésions histologiques à l’origine de sécrétion de substances provoquant des modifications du milieu environnant la lésion. Ces conditions provoquent une baisse du seuil de déclenchement d’un potentiel d’action neurologique au niveau des nocicepteurs (récepteurs "périphériques" de la douleur). Cette transformation d’une réaction histochimique tissulaire en un potentiel d’action neurologique a été nommée "Transduction", à l’origine de la transmission de l’information "douleur" vers le système nerveux.
Propagation de l’influx douloureux
De là, le stimulus nociceptif emprunte les voies de la douleur "parsemées de systèmes de modulation et d’amplification" avant d’arriver au cerveau où se déclenche "la perception douloureuse " représentant l’intégration cérébrale du message douloureux. La stimulation des nocicepteurs déclenche un potentiel d’action qui se propage dans les fibres des premiers neurones nociceptifs cheminant dans les nerfs périphériques et les racines nerveuses. Ceux-ci se terminent au niveau de lacorne postérieure de la moelle épinière où ils établissent une synapse (connexion) avec un deuxième neurone qui véhicule l’influx nociceptif de la moelle vers le thalamus considéré comme "le relais des sensations".
Intégration du message douloureux
À partir du thalamus, le troisième neurone, dit "thalamocortical", propage l’influx vers les différentes régions cérébrales impliquées dans l’intégration du message douloureux C’est la perception de la douleur dans ses multiples dimensions.
Certaines fibres se terminent dans la zone sensitive du cerveau, qui représente le schéma corporel somatotopique. C’est à ce niveau qu’est décodée la topographie et les caractéristiques qualitatives de la sensation douloureuse. D’autres fibres se projettent sur le cortex limbique, à la face interne des lobes frontaux et temporaux, zone impliquée dans les réactions émotionnelles de la douleur, son côté désagréable et anxiogène. Une importante connexion vers l’insula détermine l’intensité et la sévérité "de l’alerte" ainsi que l’ensemble des réactions au message nociceptif.
L’activation du réseau de la mémoire, comme le souligne S. Freud, « La douleur laisse derrière elle des frayages permanents dans les neurones du souvenir », construit le conditionnement à la douleur, l’apprentissage des dangers, le vécu, la réaction empathique à la douleur d’autrui etc. Cette notion de mémoire de la douleur est primordiale car elle est la pierre angulaire de la notion "d’état douloureux", aigu ou chronique.
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