Harcèlement moral au lycée. Marielle ISSARTEL

Marielle Issartel

Dossier Travail et Santé, Revue Santé Intégrative 35

 

Récit recueilli par Marielle ISSARTEL

Harcèlement moral au lycée Même dans l'École, les mécanismes du harcèlement moral des entreprises soumises au résultat chiffré peuvent transformer le métier en travail, le ministère mystérieux en instrument de torture.

Le harcèlement moral au travail est mieux connu depuis le livre de Marie-France Hirigoyenet les actions en justice des victimes, depuis la médiatisation des nombreux suicides de salariés et les rares démissions de dirigeants. On savait les professeurs touchés par la dépression, mais les classes difficiles semblaient en être la cause, voire les parents exigeants. Or une de mes amies enseignante a été victime d'un harcèlement moral de sa hiérarchie administrative que j'ai pu connaître au long des années. Il m'est apparu que les mêmes ressorts étaient mis en jeu dans un lycée ou dans une grosse entreprise tels que le décrits par exemple Delphine de Vigan. Sauf qu'il règne une sorte d'omerta dans l'Éducation Nationale. Nos lecteurs ne s'étonneront pas que mon amie garde l'anonymat.

RÉCIT DE MADAME X

-« Je viens de faire ma rentrée et je suis affectée dans le même lycée que l'année dernière. L'atmosphère y est sereine. Je n'ai pas beaucoup d'obligations. Je suis appelée par mes collègues en renfort, je les aide sur certaines tâches, c'est un poste pour convalescent en fait. Mais je n'ai pas de classe à charge. J'en serais incapable de toutes façons : j'ai des trous de mémoire, je fatigue vite, je ne tiens pas plus d'une heure avec une classe hyperactive. Car j'ai des problèmes de sommeil très importants, je prends des somnifères, des antidépresseurs. J'ai des difficultés cognitives, l'impression de ne plus rien savoir, de n’avoir fait que des choses nulles... Je me trouve lente. Et je n'ai plus d'appétit. J'ai un poste adapté, gérable pour moi malgré mon problème de santé, j'ai mon salaire, mais je n'ai plus de responsabilités. Mes problèmes de santé ont commencé il y a cinq ans avec l'arrivée d'un nouveau proviseur dans mon lycée. Car il y a clairement un avant et un après.

AVANT : PENDANT QUINZE ANS, UN MÉTIER PASSIONNANT

J'ai enseigné quinze ans une discipline technologique en terminale, dans un lycée technologique à Paris. C'est un poste fixe. Mes élèves viennent de Paris et de banlieue, 80 % sont en situation sociale défavorisée, de familles nombreuses avec très peu de revenus. Ils sont souvent obligés de travailler en plus pour aider la famille, de tenir un petit magasin, de s'occuper des enfants. Ce sont des élèves fragiles qui ont eu des parcours chaotiques, orientés pour des raisons de comportement en général vers ces filières technologiques non choisies. Il faut les tenir, mais j'ai de bons rapports avec eux. Outre la transmission de connaissances qui est stricte, j'aime l'aspect éducatif : créer des projets, trouver des partenariats, organiser des sorties, ouvrir leur champ culturel. J'essaie de mettre une réalité concrète sur le programme, ce contact de terrain me paraît important pour eux comme pour l'enseignant : garder un pied dans la vraie vie ! Ils sont intéressés par le sens concret donné à leur enseignement théorique. Avant, ma hiérarchie administrative − des proviseures − facilitaient et valorisaient ce genre de démarches qui demandent un travail d'équipe, des emplois du temps cohérents. Le management était participatif. Quant à ma hiérarchie pédagogique, l'inspecteur académique a toujours bien évalué mon travail.

APRÈS : LA PREMIÈRE ANNÉE, MISE à L'ÉCART

Le nouveau proviseur est arrivé avec une logique implicite : « Je suis le chef, je décide de tout. »Mais il fuit l'affrontement direct, c'est un homme de coins et de recoins. Il craint les professeurs et les élèves. Il a donc explosé l'équipe en supprimant les réunions, en nous convoquant individuellement au détour d'un couloir, ou par un petit mot de sa secrétaire dans le casier. Ma tête n'a pas dû lui plaire car il s'est montré d'emblée froid et distant. Mais l'hostilité lui est vite venue lors d'une discussion sur un travail individuel que je faisais avec des élèves en difficulté, travail qu'il avait supprimé. J'ai argumenté, défendu ma position et le bon bilan de ce travail personnalisé. Ma nouvelle collègue s'était courbée tout de suite, et il a vu que moi je ne pliais pas sans discuter le bien fondé. Je suis polie, mais je parle d'égal a` égal. Son regard est devenu glacial, et c'était terminé. Il a sûrement repéré les différences individuelles dans le rapport à l'autorité et autres contradictions que le travail d'équipe permettait de mettre au second plan, et il a exercé son autorité sur les gens faibles qui se sont aussitôt pliés. Malheureusement, ce fut le cas des deux collègues de ma discipline, celles avec qui je devais normalement beaucoup collaborer. Après la froideur, les humiliations : systématiquement il a m'a évincée des fonctions de responsabilité cohérentes avec mon ancienneté, mes compétences et mon expérience de ces tâches. Il désignait de façon autoritaire des personnes moins qualifiées et ces désignations agissaient comme des honneurs sur les deux collègues de ma discipline : elles ont été actives dans les nuisances, ont relayé sa volonté de me mettre à l'écart et ne de pas m'informer.